Ah, la zone Nord. Sujet de passions déchaînées et de prises de bec homériques sur les réseaux sociaux. Mais vous, cher lecteur, qu’est-ce que vous en savez, ou croyez en savoir, de ce projet qu’on nous décrit soit comme fossoyeur du centre, soit comme pain béni pour l’économie locale ?

Un centre Leclerc comme il pourrait en fleurir un en zone Nord à Tournus. (Auteur inconnu.)
On m’a reproché récemment, et assez vertement, mon incompétence pour aborder le sujet. Eh oui : sur les réseaux sociaux, je n’apparais que comme un pauvre artiste et qui-plus-est, un artiste pauvre. Cela ne m’a pas empêché de côtoyer, dans d’autres lieux, de très nombreux commerçants confrontés à la même problématique, et aussi de sortir diplômé d’une école de commerce assez renommée. Comme quoi il ne faut pas se fier aux apparences.
Mais en dehors de ces considérations de compétence, il est une chose qui ne peut mentir. Ce sont les chiffres. Ici, nous ne nous attacherons qu’à deux d’entre eux, les autres n’étant que leurs corollaires : 1) le nombre d’habitant en zone de chalandise tournugeoise et 2) l’argent qui circule déjà sur cette même zone.
Le nombre d’habitants, tout le monde le connaît plus ou moins. Selon les sources et, disons, à plus ou moins 10 %, nous sommes dans les 6 000 tournusiens pour un total de 10 000 environ dans la communauté de communes. Autant dire qu’on n’est pas très nombreux.
Le second chiffre, c’est le chiffre d’affaires (CA) annuel généré par l’existant en matière de grandes et moyennes surfaces (GMS). Là, c’est plus compliqué, mais on peut se baser sur une estimation (issue de sources bancaires proches du dossier) de 18 millions pour la plus active des GMS, 12 à 14 pour la seconde, et dans les 6-8 millions pour chacune des deux dernières. On est donc autour des 50 millions d’euros pour les seules GMS, CA auquel il faut ajouter celui de tous les commerces du centre. Bon. « Oublions » les commerçants indépendants et retenons 50 millions.

La zone Nord. Du vide, bientôt tout plein. (Image Google Maps. Offrez-moi un drone et je ferai les photos aériennes moi-même.)
Le calcul est simple : les GMS de Tournus « mangent » grosso modo 50 millions d’euros par an à 10 000 tournugeois, soit 5 000 € par an et par personne sur la communauté de communes.
Cet existant fait vivoter bon nombre d’habitants. Je dis « vivoter » car, comme de coutume en grande distribution, les CDI ne sont pas légion. On parle plutôt de renouvellement de CDD à la chaîne, en tirant bien sur la ficelle du Code du travail. Reste que oui, ces GMS constituent un bassin d’emploi non négligeable.
Mais alors, disent les enthousiastes, c’est magnifique ! À ces 50 millions vont s’ajouter 20, 30, pourquoi pas 40 millions d’euros, et à ces emplois existants on pourra en ajouter cent ou deux cents, soyons fous !
Le problème, c’est que l’économie ne marche pas comme ça.
D’abord, la zone de chalandise de Tournus est cernée de toutes part, sauf à l’ouest. Mâcon, Chalon et Louhans, à peu près équidistantes, piquent beaucoup de clients potentiels grâce à leur dynamisme et à la diversité de leur offre. Qui veut se faire une journée de courses en famille dans l’une de ces villes peut en même temps se faire une toile et manger un morceau en terrasse ou sous les arcades, avantage certain pour une sortie mensuelle ou bimensuelle. Ceci pour expliquer que, l’offre c’est bien, mais encore faut-il qu’elle réponde à une vraie demande. Et comme chacun le sait, une habitude prise de longue date est difficile à perdre : parier sur le fait de récupérer cette clientèle en fuite est un pari risqué.
On a donc une zone de chalandise fermée, avec un potentiel numérique excessivement limité, et enfin une richesse moyenne très relative par manque d’emploi. En clair : un nouveau magasin n’ajoutera pas, ou fort peu, son CA à celui de ses concurrents mais risque, simplement, de le leur piquer. Habiller Pierre pour désaper Paul, ou inversement. Les tournugeois ne deviendront pas miraculeusement plus riches ni plus nombreux avec le nouveau Leclerc. Et certaines boutiques vont même chasser directement sur les terres des commerçants du centre, avec par exemple… une nouvelle boutique d’optique. Chouette.
Reprenons le listing des commerces prévus en zone Nord :
- 1 Hypermarché (*) Leclerc de 3 000 m² comprenant : 1 commerce presse et jeux (*) ; 1 espace commerce culturel de 400 m² (*) ; 1 bar brasserie de 250 m² (*)
- 1 moyenne surface de jardinage de 2 000 m² (*)
- 1 grande surface multistore textile 800 m²
- 1 grande surface textile généraliste 1 200 m²
- 1 grande surface chausseur 800 m² (*)
- 1 grande surface équipement de sports 800 m² (*)
- 1 grande surface d’opportunité
- 1 grande surface 800 m² mobilier
- 1 grande surface 800 m² décoration (*)
- 1 grande surface 800 m² électro-ménager (*)
- 1 restaurant de spécialités (*)
- 1 salle de sport (*)
- 1 centre automobile/contrôle technique (*)
- 1 opticien (*)
Total : 22 000 m². Quand même. Les astérisques ajoutés par mes soins sont là pour identifier des commerces dont on peut trouver l’équivalent actuellement, en centre commercial de Carrefour ou en centre-ville sur de plus petites surfaces. Tout de suite, ça aide à réaliser qu’on ne va pas avoir LE MAGASIN QUI VA TOUT CHANGER aux habitudes des chalands. Je suis très, très dubitatif quant à la pertinence de ces implantations, que je vois difficilement aider à « (re)dynamiser le centre », vœu pieu politique qu’on entend rabâcher tous les matins.
Et puis il y a l’emploi.
Alors là, c’est le même topo. Si Leclerc réussit son pari et tourne à bloc, eh bien évidemment, des emplois vont se créer. Pas la peine d’avoir fait Sciences Po pour le comprendre. Ce que, par contre, pas mal de gens semblent ne pas saisir c’est que, si Leclerc marche, ses concurrents, eux aussi employeurs majeurs à Tournus, vont moins bien marcher. Là encore, on n’aura pas une simple addition, mais une répartition — un pro rata per capita, parce que j’aime parler le Latin de cuisine. Si Leclerc embauche, Simply, Carrefour, Lidl et Aldi, sans parler des commerçants du centre, vont au moins cesser d’embaucher et de renouveler les contrats, voire licencier, ou fermer dans le pire des cas.
Et un dernier point pour la route…
Je laisse la parole à monsieur le maire Claude Roche, qui justifie ce centre commercial en ces termes : « Vous connaissez quelqu’un d’autre qui va investir 50 millions d’euros à Tournus ? »… Euh, si j’osais, je lèverais une main timide pour répondre que oui, j’en connais pas mal.
N’importe quel groupe concurrent de Leclerc et qui n’est pas déjà présent à Tournus est susceptible d’investir une telle somme. Pourquoi ? Parce que les présents ne l’ont pas fait, faute d’intérêt. (Tiens, vous ne vous demandez pas, d’ailleurs, pourquoi ils ne l’ont pas fait, Carrefour et Casino ?) Il y a donc une place à prendre. Une place à piquer aux autres. Leclerc investit 50 millions non pas par pure bonté d’âme, mais parce qu’il espère écraser la concurrence en sortant sa Grosse Bertha. Leur piquer du CA. Et les regarder crever, si possible. Eh oui, le business, c’est ça.
Leclerc n’en a rien à taper de Tournus. Leclerc vient investir pour gagner, sans aucune considération pour l’existant et même, en espérant bien le voir se ratatiner à son profit. Et qu’il faille en arriver à rédiger ce résumé pour espérer que des élus en prennent conscience me désole.
Ah, j’ai failli oublier un exemple concret.
Exemple que j’ai déjà cité sur Facebook. Dijon et ses presque 300 000 chalands. On a inauguré en grande pompe la Toison d’Or, centre commercial aux proportions dantesques, au début des années 1990. Le bilan ? Devinez. La clientèle s’est déplacée du centre vers la Touffe, comme on aime à l’appeler. Le centre-ville de Dijon ? Les touristes l’adorent. Pensez donc, c’est d’un calme… Il n’y a guère que le Père Lachaise pour rivaliser en termes de dynamisme.

La Toison d’Or par TDO Dijon (licence libre CC-BY-SA 3.0, source Wikimedia Commons.)
Pour conclure ces quelques mots qui n’engagent évidemment que moi, j’espère sincèrement vous avoir aidé à vous faire une opinion sur ce dossier brûlant. Et si malgré ces explications, vous restez partisan fervent du centre Leclerc, sachez que je vous attendrai tous les matins à l’aube, derrière l’abbaye, de préférence au fleuret. (Duels au premier sang uniquement. Prendre un ticket à l’Office de tourisme.)
une très belle analyse qui résume bien les risques d’un projet totalement aberrant !
Excellente analyse, 5 points à rajouter :1) Il y aurait moins d’évasion commerciale si l’accès au centre-ville était plus facile et moins coûteux, 2) la plus grosse part de l’évasion commerciale vient d’internet et ce ne sont pas ces achats là qui risquent d’être pris par Leclerc mais bien comme dit dans l’analyse les achats existants et donc les emplois qui s’y attachent 3) toutes les analyses et tous les faits le montrent la fréquentation des centres commerciaux périphériques est en chute libre (moins 30% en 5 ans) et ce projet va donc à l’encontre de la tendance mondiale et des souhaits des chalands qui veulent revenir dans les centre-villes. 4) la plupart des commerces vont garder 70 à 80% de leur clientèle qui est fidèle mais cette chute brutale de 20 à 30% dans une situation très tendue va amener inexorablement leur faillite et la destruction des emplois stables correspondants et enfin 5) la part du commerce indépendant est loin d’être négligeable et le nombre d’emplois généré par lui à Tournus est à 3 chiffres
une grande zone au nord et le centre ville sera désert !!
Désertifier le centre ville, faire faire faillite aux quelques commerçants existant, supprimer un cinéma pour remettre un passage courant d’air, augmentez les profits des grands groupes commerciaux, supprimer des emplois, relever le profit des banques, augmenter les impôts pour payer les subventions…..
Que des beaux projets à tournus
Que de tête bien pensante, pour ma part je ne prendrai pas parti, il est toujours plus facile de critiquer que d’agir…
Je n’avais pas tellement envie de répondre parce que je sais que je ne vous ferai pas changer d’avis mais je me suis dit, allez, faisons-nous un petit plaisir avec le café du matin.
D’abord, je ne vois pas ce qu’il y a de « bien-pensant » dans cette analyse purement factuelle et logique. (En outre, je ne suis pas vraiment connu comme bien-pensant à titre personnel.) L’emploi de ce terme en guise de critique m’étonne.
Mais ensuite et surtout : « critiquer c’est plus facile que d’agir ». Alors d’abord, c’est la municipalité qui a mandat pour agir, si on veut parler bêtement politique. L’opposition, surtout celle qui ne siège pas au conseil municipal, ne peut guère qu’alerter, informer et critiquer quand elle n’est pas d’accord avec tel ou tel projet. Ensuite, il se trouve qu’on agit. Le créateur de ce site vient de lancer une initiative pour faire bouger chez les commerçants du centre, par exemple. Il a aussi, tout simplement, créé cet espace d’information et de discussion que vous utilisez. Et pour ma part, je me suis impliqué dans bon nombre de choses passablement concrètes depuis mon arrivée à Tournus, dont beaucoup d’événements culturels gratuits ou à très bas prix. Je participe donc aussi, à mon échelle, à tâcher de faire vivre la ville et pas seulement à critiquer pour le plaisir.
Bref. Quand on ne connaît pas telle ou telle personne, mieux vaut ne pas s’aventurer sur un terrain que l’on ne maîtrise pas, à savoir celui, purement spéculatif, de ce qu’elle fait ou ne fait pas.
Pendant qu’on parle d’agir et d’initiatives pour faire bouger chez les commerçants de Tournus, n’oublions pas que le deuxième jeudi du mois est Jeudi Après-Midi ‘Allez Tournus’! Au lieu de critiquer, agissons pour faire un achat d’au moins 10€ dans un magasin au centre.
Effectivement, il serait préférable de créer de l’industrie, du travail… problème… il va falloir trouver des candidats au travail…
Je me permets aux de réagir aux sempiternels commentaires du type « c’est facile de critiquer, c’est moins facile d’agir »; En ce qui me concerne et je suis loin, très loin d’être le seul dans ce cas à Tournus, quand à 54 ans je me suis retrouvé au chômage après près de 30 ans dans une multinationale venant de fermer son usine de 3200 personnes (après avoir fait des choix stratégiques désastreux, tiens, tiens !) j’ai décidé de réinvestir la totalité de mes indemnités de licenciements dans la création d’une entreprise à 45 kms de mon domicile, j’ai embauché un salarié en CDI et j’ai fait progresser cette entreprise depuis maintenant 9 ans. Je me retrouve maintenant devant un olibrius qui faisant fi de tout ce qu’il avait déclaré et promis pendant sa campagne électorale décide sous couvert de revitalisation du centre-ville – entre autres – de massacrer ce que j’ai construit en projetant de mettre en place un centre commercial à la périphérie, centre commercial que toutes les études de consultant jugent redondant avec l’existant et totalement superflu. Alors oui je ne me considère pas comme un martien de critiquer ce projet absurde. Et oui encore je considère que moi j’agis, j’agis 55 heures par semaine.
La critique est facile , mais l’art est difficile et puis , vous n’êtes pas le seul à avoir perdu un emploi chez Kodak . Plusieurs de mes amis ont été dans le même cas et la prime de départ a du être confortable .
Alors cessez de gémir et de critiquer en étant constructif pour vos clients dont je fais parti .
A force de critiquer vos clients vont tous » changer de crémerie « .
Je trouve très petit d’esprit d’utiliser des arguments comme ‘taisez-vous ou on n’achète plus chez vous’. C’est du chantage qui n’a pas de place dans une discussion intelligente sur le contenu et des arguments. Alors, M. Redbull, quel argument de M. Lacroix trouvez-vous infondé, exactement, et pourquoi?
Bonjour Monsieur Roturier
Je suis surpris par cette phrase : « Leclerc n’en a rien à taper de Tournus. Leclerc vient investir pour gagner, sans aucune considération pour l’existant et même, en espérant bien le voir se ratatiner à son profit. Et qu’il faille en arriver à rédiger ce résumé pour espérer que des élus en prennent conscience me désole. »
Je pense que tout le monde en a conscience, y compris les élus.
Chaque investissement d’entreprise, quel qu’il soit, a comme objectif de développer le CA, prendre des parts de marché et faire mieux que les concurrents … Leclerc comme les autres.
Je ne défends ni Leclerc, ni les commerçants, je rappelle simplement que nous vivons dans une économie de marché.
Et que, si demain, n’importe quelle entreprise de Tournus venait à être concurrencée par l’installation d’un très gros concurrent … je ne suis pas sûr que toutes les réactions seraient aussi épidermiques 🙂
Cordialement
Claude
Comme un air de déjà vu ou entendu, il suffit de modifier un peu les paroles …
Le créateur de cette chansonnette
Passait jadis pour un vrai chevalier
D’autres encore parmi tant de grosses têtes
Ont dans l’épreuve complètement perdu pied
On les croyait très bien, ils étaient pervers
Et c’est ainsi qu’ils se sont révélés
En préférant faire des sourires à Leclerc
Par calcul ou stupidité
Et tout ça, ça fait
« D’excellents » français
Pour lesquels il n’est
Que le porte-monnaie
Faut savoir être égoïste
Afin d’ sauvegarder ses petits intérêts
Et ils se sont mis
À grands coups de « allons y »
Au régime ultra capitaliste
Bien sûr maintenant
Ça devient gênant
Car tout de même, ces tripatouillages-là
Quoi qu’on puisse dire ça n’ s’oublie pas
Mais à côté de cette engeance honteuse
Dont la conscience est un billet de mille francs
Il y a Tournus, fière, digne et douloureuse
Tournus et ses milliers d’ braves gens
Parmi ceux-ci est une élite rude
Vivant symbole des vertus du pays
Qui préférant tout à la servitude
Cœur sur la main, a pris l’ maquis
Et tout ça, ça fait
D’excellents Français
Des hommes au grand cœur
Sans reproche et sans peur
Qui combattent pour que leur petite ville
Soit toujours à l’avant-garde de l’honneur
N’ayant simplement
Pour tout ralliement
Qu’un seul mot, rien qu’un seul : Résistance !
Étroitement unis
Comme des amis
Oui, ceux-là, ce sont de vrais,
De bons et d’excellents Français !
D’après la parodie par Pierre Dac de la chanson « Ca fait d’excellents français « .