Tandis qu’hier, avec quelques amis, nous installions de quoi donner un excellent concert de Böreck à Tournus, un homme préparait son coup d’éclat du soir. Il louait un camion et planifiait son itinéraire meurtrier.
Alors que l’immense majorité des occupants de cette planète aspirait à passer une soirée de paix, quelques milliers, de Nice à la Syrie en passant par la Corée du Nord, préparaient l’éradication systématique des autres.
Il est une guerre que nous ne pouvons pas gagner : c’est celle qui consisterait à arrêter un ennemi qui n’a pas de nom. Qui se cache dans des cerveaux aliénés qui, d’un coup, se sentent investis d’une mission de mort, de Dallas à Damas. Il y en aura toujours. L’état d’urgence, nous pouvons nous préparer à le voir durer.
Il en est une autre que nous remportons chaque jour : c’est celle qui consiste à répondre à la haine d’une poignée d’hommes en continuant à préparer des concerts plutôt que les armes. En réussissant, malgré toute notre peine, à ne pas haïr en bloc, contrairement à « eux », la poignée d’antihumains. En gardant cœurs et bras ouverts à la misère qu’ils causent. En ne vivant pas dans la terreur qui, seule, donne du sens au terrorisme. Privons-les de ce plaisir. C’est ainsi que nous rendrons le plus bel hommage aux innocents martyrs.
Mise à jour du 15 juillet à 11 h 13 :
On commence à accuser, sur les réseaux sociaux. Accuser les politiques, les juges, les maires. Accuser tous ceux qui sont censés avoir du pouvoir et qui l’auraient mal utilisé.
Il est nécessaire de comprendre deux choses qui échappent à beaucoup de gens, par manque d’information et non par manque de curiosité, car ces informations il faut les chercher plus loin qu’à l’école de la République et que dans les médias traditionnels.
La première chose, c’est que quand bien même chaque Français serait accompagné d’un représentant des forces de l’ordre, il y aura toujours des armes simples, létales et légales — comme un camion de location — et des tueurs qui ne s’embarrassent pas de la peur de mourir ou de ne pas tuer assez. Coupez tous les réseaux, muselez tous les Imams et fermez toutes les mosquées : il est trop tard, le mal est fait depuis bien trop longtemps.
Voilà le second point. Les racines du mal sont à chercher avant la Syrie, avant l’invasion et la libération du Koweit, avant l’Afghanistan où a combattu Ben Laden aux côtés de la CIA, avant même les guerres de décolonisation. Elles ont porté tous les noms, de Khomeni à Daech en passant par Al Qaida. Les graines ont été semées de part et d’autre pendant des siècles, sur le terreau fertile de l’incompréhension et de l’avidité, et la tardive moisson de terreur fait maintenant des victimes de toutes les confessions et de tous les pays.
On ne tue pas une idée ; on ne tue pas une peur. On la combat jour après jour, partout, par la culture et en affirmant l’indécence de l’oubli. C’est ainsi que l’on tient en respect une idéologie qui a mis toute l’Europe à feu et à sang il y a 75 ans et que, si l’on ne l’a pas éradiquée, on l’a néanmoins empêchée de continuer, dans la clandestinité, à faire des milliers de morts. Parce que, certainement bien plus que le suicide du Führer et les pendaisons de Nuremberg, c’est la force avec laquelle tout un continent, tout un monde s’est levé pour clamer que ces barbares étaient déchus de leur humanité qui a dissuadé des hommes capables d’industrialiser la mort de continuer la lutte pour leurs convictions.
Alors à quoi bon chercher qui est responsable ? À quoi bon sécuriser, enfermer, vidéosurveiller, ratisser, fliquer notre Europe et notre planète ? Oui, nous empêcherons certains attentats organisés. Mais à quel prix pour ces libertés qui nous sont chères et nous maintiennent en vie ? Car jamais nous ne pourrons lutter contre l’individu instable (ou parfaitement sain d’esprit) qui décidera de prendre les « armes » tout seul mieux qu’en lui montrant, chaque jour, à quel point sa démarche est aberrante, inutile, stupide, inhumaine et universellement condamnée par toutes les formes de foi dont il pourrait se revendiquer.
Frappez les futurs terroristes de toute la force de votre intelligence, de votre compréhension, de votre curiosité et de votre humanité. Ce sont les seules armes dont ils seront à jamais dépourvus et contre lesquelles leur combat est totalement vain.
Mise à jour du 15 juillet à 17 h 46 :
Il y a à Tournus, rue de la République, une vieille publicité peinte récemment restaurée qui proclame : « c’est à la racine et non aux branches que frappe le thé de la sœur Borel ».
J’ai pensé à cette image cet après-midi parce que j’ai réalisé que, comme souvent, la majorité des politiques qui se sont exprimés juste après ce drame se sont empressés d’enjoindre le gouvernement à frapper aux branches. De traiter les symptômes mais pas l’origine du mal.
Il est assez facile, si je puis dire, de frapper aux branches. Il est très spectaculaire de prévenir ou stopper un attentat, de défoncer des portes et de pouvoir ainsi se rengorger des bénéfices du tout-sécuritaire. L’opinion publique en redemande. Donnez-lui des têtes sur un plateau ; offrez-lui des boucs émissaires en la personne de tel ou tel terroriste, illuminé ou intermédiaire trop idiot pour avoir fait son « travail » de mort correctement.
Le vrai travail nécessaire, et celui qui serait le plus utile, n’est pas spectaculaire pour deux sous. C’est celui qui consiste à frapper aux racines. C’est de faire en sorte que chaque enfant, en France, ait une éducation d’un tel niveau de qualité qu’aucun élève, jamais, ne puisse se sentir mis au ban de l’école publique républicaine et laïque. Qu’en conséquence, chaque potentiel, chaque filière soit valorisé. C’est d’offrir des chances égales, des conditions de vie dignes, des logements décents et des occupations artistiques, sportives et culturelles, des accompagnements personnalisés, pertinents et efficaces dans le contexte socio-économique mondial actuel. Faire que jamais aucune Église que ce soit ne puisse s’imposer comme alternative aux idéaux et valeurs républicains mais simplement, selon le choix libre et éclairé de chaque citoyen, venir en complément dans des domaines où l’État n’a pas à intervenir et inversement.
Pour éviter la repousse d’une mauvaise herbe, plus que d’empoisonner le sol, la meilleure solution consiste à creuser et bétonner. Alors creusons et éliminons le terreau de la violence ! Construisons la France de demain, multicolore, multiculturelle et multiconfessionnelle comme elle l’a toujours été, sur le béton armé de l’éducation. Plutôt que de réclamer des forces de police supplémentaires, faisons en sorte que celles que nous avons déjà soient suffisantes, en embauchant d’abord assez de profs, animateurs socio-culturels et conseillers divers pour éduquer décemment chaque Français, aussi longtemps qu’il le souhaitera. Faisons de la France un pays dans lequel la violence n’aura plus cours pour la simple et bonne raison que plus personne, ayant vécu sur son sol et respiré son air, ne verra à terme le moindre intérêt à s’attaquer à un système idéal d’épanouissement de chaque citoyen.
Oh oui, je suis idéaliste. Mais aussi réaliste et, plus modérément, fataliste. Des attentats, nous en vivrons d’autres. Nous perdrons des proches. Peut-être même, un jour, vivrons-nous « notre » 11-septembre, au cous duquel disparaîtront non plus des dizaines mais des milliers d’innocents. Et nous aurons beau tripler les forces de polices et décupler le budget de la défense, rien n’y fera. Car seule une idée peut en battre une autre. Une balle de 7.62 y est complètement impuissante et un missile balistique à tête nucléaire, tout autant.
Alors battez-vous, tous, tous les jours, avec les bonnes armes. Chacun de nous peut participer à faire pencher la balance du côté de la tolérance, de la compréhension et de la paix ou, au contraire, vers celui de la haine, de l’obscurantisme et de la violence. Serrons-nous les coudes et soutenons-nous les uns les autres. Érigeons autour de notre France idéale un impénétrable mur pacifique aux moellons de culture et au mortier de conviction. Et puisse-t-il un jour, par la voie du simple bon sens, s’étendre au monde. Bordel.
Courage à tous.
Excellent article!
Tout à fait ce que je pense, merci de l’avoir aussi bien exprimé.